Les mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar
Les mémoires d’Hadrien, le célèbre empereur romain grand esthète, philosophe et poète. Il s’agit ici bien plus qu’une simple biographie. Un texte puissant écrit à la première personne sous la forme d’une longue lettre. Plongeant dans les pensées de l’empereur, on suit sa vie : de sa jeunesse flamboyante au déclin du corps et à la maladie. Une magnifique réflexion sur la vie et un projet colossal de Marguerite Duras qu’elle commencera, interrompra, corrigera, reprendra, affinera pendant de longues années.
‘ Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L’existence des héros, celle qu’on nous raconte, est simple : elle va droit au but comme une flèche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes. Comme il arrive souvent, c’est ce que je n’ai pas été, peut-être, qui la définit avec plus de justesse : bon soldat, mais point grand homme de guerre, amateur d’art, mais point cet artiste que Néron crut être à sa mort, capable de crimes, mais point chargé de crimes. Il m’arrive de penser que les grands hommes se caractérisent justement par leur position extrême, où leur héroïsme est de se tenir tout la vie. Ils sont nos pôles, ou nos antipodes. J’ai occupé toutes les positions extrêmes tour à tour, mais je ne m’y suis pas tenu ; la vie m’en a toujours fait glisser. Et cependant, je ne puis pas non plus, comme un laboureur ou un portefaix vertueux, me vanter d’une existence située au centre.’